Silencio CXLVI
Ce n'est pas tant se taire qu'il faudrait, mais faire taire : faire taire Malone et Molloy, Mercier et Camier, Murphy et Watt, et aussi faire terre, ou terreau, comme eux redevenir poireaux, pierres, humains empotés de langue, entêtés de vide qui se remplit et de plein qui se vide, le bel échange, les poches vides, avec juste ce qu'il faut de salive pour que ça continue de tourner. Mais la chose est impossible, bien sûr, et
le plus simple serait de ne pas commencer[……] sa traduction, tout simplement, il ne la commence pas. Elle est là, dans le texte, qu'il soit anglais ou français. Beckett l'arrose de son silence et elle pousse. Il pose sa paume sur le texte imprimé, il exerce une pression, et l'encre bave, sue, s'excuse, s'éloigne. Qui compare les deux versions, ou plutôt les deux versos qu'aucun recto ne joint, voit sa vue troublée, sa langue fourcher — et comprend pourquoi jamais n'est nécessaire ni souhaitable l'étrange mais conforme mention "traduit par l'auteur". Il est vrai qu'au fond du fond de la vase voulue innommable gît déjà l'asticmot traduction — et qu'en écrivant Beckett traduit: déjà. Non pas des sentiments : il sait par Joyce et sa fille quel sort leur est réservé. Mais traduit l'intraduisible : le silence qui rythme tous ses textes, comme une ponctuation, mieux qu'une ponctuation. Or parler du silence de Beckett, c'est rire entre deux langues.
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