Fury
À propos de Fury de Fritz Lang. Post avec spoilers, mais ça ne gâche pas le film - je l'ai vu en en sachant tout autant, étant en train de lire une bio de Lang.
Joseph Wilson s'apprête à se marier, après un an de dur labeur pour gagner honnêtement un pécule suffisant. Arrêté comme suspect d'une affaire de kidnapping, la rumeur se propage dans la ville et aboutit à un lynchage. Joe n'est pas mort, mais se faisant passer pour tel et avec l'appui de ses frères, va conduire de manière de plus en plus démente une partie de la foule face à ses actes.
Le retour à la vie, la rédemption par l'amour et l'abandon de la vengeance, cela n'intervient qu'en dernières minutes du film, après avoir pillé toute idée de justice. Cela intervient que quand le jugement est déjà tombé - jugement dans le cadre de l'histoire, mais surtout jugement moral implacablement démontré par l'escalade menant un juste à des flammes d'enfer, essentiellement à cause d'un grain de sel de cacahouète dans l'engrenage (un vague indice qui corrobore le dossier de police). La bête tapie dans la foule, qui se réveille à l'impulsion d'un agitateur (et sous couvert de moralité, c'est tout de même un "let's have fun" qui mets le feu aux poudres), avant de se tapir de nouveau dans la loi du silence, est la même bête qui se voit dans la scène du barbier reconnaissant ne pas être exempt d'impulsions lorsque son rasoir s'approche des gorges (à noter le bon jeu de miroir de cette scène). Le barbier est conscient d'une frontière, alors que l'hystérie s'empare de la foule - mais qu'en est-il ensuite d'un Joe obsessionnel ? La dualité de chacun des personnages n'est pas une démonstration de manichéisme. Il s'agit d'une lecture incessante de la complexité des gens et de la difficulté de juger.
Autres réussites dans ce film qui va plus loin que de raconter un fait divers : le climax du lynchage par le feu est revécu par le biais d'un film dans le film, accablant, qui met les accusés face à leur acte (et les témoins face à leur parjure), et par ricochet au verdict. La femme de Joe, seule vraie témoin, déclare n'en avoir que faire de condamner les 22 accusés, et par ricochet, Joe déclare n'en avoir que faire de les sauver au final. En héritage du muet, l'utilisation de silence à certains moments clés fait preuve d'une excellente mise en valeur. La transformation de Joe d'une moitié à l'autre du film est un rôle fort comme celui de Karloff dans The walking dead de Curtiz la même année, sur un thème similaire - et la superposition des images de coupables autour d'un Joe hanté et rappelé à son humanité n'est pas sans rappeler l'homme de L'Aurore de Murnau… Tout cela et bien plus contribue à un grand film.
J'aurais bien aimé voir un director's cut, même si Mankiewicz n'est pas le pire des loosers en la matière. Le fait est que pour son premier film américain, Lang n'a pas eu la latitude qu'il a pu avoir sur d'autres de ses films, avant ou après, notament sur des questions de montage. En l'occurence, le fin mot selon le contrat revenait au producteur (Mankiewicz donc) et non au réalisateur. Ce serait par curiosité car le film est très bien comme ça. De même, qu'importent les rapports entre Lang et Spencer Tracy, au vu de la qualité de ce dernier en Joe Wilson ?
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